Serge Plantureux répond à « La tronche à machin »

Nous offrons avec plaisir à Serge Plantureux ce billet pour répondre à celui que j’ai publié le 31 mars sous le titre « La tronche à machin ».

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Dans son article la Tronche à MachinHugues Fontaine justifie ses doutes par rapport à la proposition d’identification et il énumère cinq points précis qu’il nous propose de considérer avec lui : 1. La chronologie des évènements mise en perspective avec la vitesse de pousse des cheveux, 2. L’apparence physique et l’âge du modèle, 3. La singularité du regard de Rimbaud, 4. La ressemblance des sources, 5. Le manque de preuves documentaires.

En acceptant son invitation à la discussion, voici point par point quelques éléments de réponse et de réflexion, augmenté d’un sixième point proposé dans l’article connexe de Hugues Fontaine, J’fous le camp à Wien, où il nous fait remarquer que Verlaine a représenté Rimbaud partant à Vienne avec un chapeau haut de forme.

Chronologie des événements : Hugues met en doute la possibilité que les cheveux de Rimbaud aient pu repousser suffisamment en deux mois et demi pour correspondre à la chevelure observée sur le portrait viennois, compte tenu de l’agression subie à Vienne le 26 février 1876 peu après son apparition le crâne rasé à l’enterrement de sa sœur le 18 décembre 1875 (dix semaines plus tot). 

Hugues a raison de noter cette courte période. En fait il est très peu probable que si c’est bien Rimbaud, ce portrait ait été réalisé avant le vol, quand Rimbaud ne songe pas à résider en Autriche puisqu’il est simplement en transit vers la Turquie. Ainsi Karl Eugen Schmidt nous dit que le vol a eu lieu le jour même de son arrivée, aussi suggéré par les récits indirects. 

Or selon les nouveaux éléments Rimbaud est resté plus de deux mois à Vienne et s’il réalise un portrait carte de visite, l’intention peut s’interpréter de deux manières selon les usages du temps : pour trouver un emploi afin de financer son séjour (emploi de professeur de langue peut-être) ou pour sa démarche de retrouver les voleurs, en laissant sa carte de visite aux gens qu’il aborde pour leur demander de l’aide. 

On peut penser que ce n’est que vers la fin des deux mois qu’il est réduit à la mendicité et à vendre ses vêtements – acte qu’il lui faudra justifier auprès de sa mère qui les lui a financés. 

Le portrait si c’est son portrait doit alors être daté de mars ou avril 1876 et la longueur des cheveux pourrait en effet être un élément à prendre en compte pour tenter d’affiner cette datation. 

Un élément vestimentaire curieux pourrait confirmer que ce portrait serait postérieur au vol : la présence d’une cordelette protégeant le contenu de la poche intérieure de la redingote.

Apparence physique et âge : Le portrait viennois montre un jeune homme qui paraît avoir environ dix-sept ans, tandis que Rimbaud en avait presque vingt-deux en 1876, une différence qui soulève des doutes sur l’identification.

Rimbaud est dans sa 22e année selon la formulation de la police autrichienne, il a 21 ans et demi. Le visage du modèle est intensément éclairé et le portrait présente un visage lisse qui renforce l’aspect juvénile, mais il est difficile d’y voir un adolescent.

Singularité du regard : La repique du négatif semble ne pas avoir préservé la singularité du regard de Rimbaud, qui est décrit comme très expressif et intense par ses proches.

La retouche du négatif est hélas une pratique fort courante à l’époque qui nous prive de beaucoup de regards. Comment savoir qu’Alexandre Dumas a les yeux clairs en regardant ses portraits carte de visite ? Ce n’est qu’en découvrant un portrait au daguerréotype que l’on a pu restituer son regard au grand écrivain. Voir ci-dessous.

La retouche sur le portrait de Vienne devient très visible en augmentant au maximum le contraste d’une numérisation de haute définition, mais on aperçoit toutefois un fragment d’iris clair en haut de l’œil droit. Voir ci-dessous.

Ressemblance des sourcils : L’article remet en question la ressemblance des sourcils du sujet du portrait avec ceux connus de Rimbaud dans d’autres images authentifiées.

Cet argument est appuyé dans le blog de Hugues par les portraits ci-dessous mis en relation. Or ils semblent prouver le contraire si l’on compare des aspects tels que la position, la forme, et la densité des sourcils, en particulier un sourcil semble bien plus court, ò droite pour nous dans un portrait comme dans l’autre. 

Manque de preuves documentaires : Il y a une demande de preuves tangibles comme des écrits ou des archives du photographe qui prouveraient la commande par Rimbaud d’une série de portraits à Vienne.

En effet c’est étonnant d’avoir déjà trouvé l’article du Fremden Blatt, ce genre de preuves ne surgissent que très rarement, et l’existence de celle-ci est très encourageante. On peut maintenant essayer de rechercher dans la tradition viennoise des auteurs qui ont relaté le séjour a Vienne comme Karl Eugen Schmidt (Die Zeit, 10 novembre 1900). 

Enfin, les portraits carte de visite sont produits et vendus avec une quantité minimum, selon les catalogues studios, généralement 20 ou 25 (catalogue Disderi en 1862), on peut donc conserver l’espoir de trouver un autre exemplaire. 

Chapeau Haut de Forme : son usage est très codé dans les années 1870 (comme aujourd’hui encore), mariages, fonctions politiques ou financières, si le haut-de-forme se prête bien à la caricature ou au dessin humoristique il ne correspond pas aux usages d’un tout jeune homme voyageant de Charleville à Istanbul en train quelques années avant l’Orient-Express. 

Une réponse sur “Serge Plantureux répond à « La tronche à machin »”

  1. La mention manuscrite (Arthur Rimb) au bas de la photo est elle originale ? Si c’était le cas alors il n’y aurait plus de doute. Le portrait viennois pourrait-il être tiré d’une photographie prise précédemment par un autre photographe, ce qui expliquerait le juvenile du personnage ici présent ?

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