Serge Plantureux répond à « La tronche à machin »

Nous offrons avec plaisir à Serge Plantureux ce billet pour répondre à celui que j’ai publié le 31 mars sous le titre « La tronche à machin ».

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Dans son article la Tronche à MachinHugues Fontaine justifie ses doutes par rapport à la proposition d’identification et il énumère cinq points précis qu’il nous propose de considérer avec lui : 1. La chronologie des évènements mise en perspective avec la vitesse de pousse des cheveux, 2. L’apparence physique et l’âge du modèle, 3. La singularité du regard de Rimbaud, 4. La ressemblance des sources, 5. Le manque de preuves documentaires.

En acceptant son invitation à la discussion, voici point par point quelques éléments de réponse et de réflexion, augmenté d’un sixième point proposé dans l’article connexe de Hugues Fontaine, J’fous le camp à Wien, où il nous fait remarquer que Verlaine a représenté Rimbaud partant à Vienne avec un chapeau haut de forme.

Chronologie des événements : Hugues met en doute la possibilité que les cheveux de Rimbaud aient pu repousser suffisamment en deux mois et demi pour correspondre à la chevelure observée sur le portrait viennois, compte tenu de l’agression subie à Vienne le 26 février 1876 peu après son apparition le crâne rasé à l’enterrement de sa sœur le 18 décembre 1875 (dix semaines plus tot). 

Hugues a raison de noter cette courte période. En fait il est très peu probable que si c’est bien Rimbaud, ce portrait ait été réalisé avant le vol, quand Rimbaud ne songe pas à résider en Autriche puisqu’il est simplement en transit vers la Turquie. Ainsi Karl Eugen Schmidt nous dit que le vol a eu lieu le jour même de son arrivée, aussi suggéré par les récits indirects. 

Or selon les nouveaux éléments Rimbaud est resté plus de deux mois à Vienne et s’il réalise un portrait carte de visite, l’intention peut s’interpréter de deux manières selon les usages du temps : pour trouver un emploi afin de financer son séjour (emploi de professeur de langue peut-être) ou pour sa démarche de retrouver les voleurs, en laissant sa carte de visite aux gens qu’il aborde pour leur demander de l’aide. 

On peut penser que ce n’est que vers la fin des deux mois qu’il est réduit à la mendicité et à vendre ses vêtements – acte qu’il lui faudra justifier auprès de sa mère qui les lui a financés. 

Le portrait si c’est son portrait doit alors être daté de mars ou avril 1876 et la longueur des cheveux pourrait en effet être un élément à prendre en compte pour tenter d’affiner cette datation. 

Un élément vestimentaire curieux pourrait confirmer que ce portrait serait postérieur au vol : la présence d’une cordelette protégeant le contenu de la poche intérieure de la redingote.

Apparence physique et âge : Le portrait viennois montre un jeune homme qui paraît avoir environ dix-sept ans, tandis que Rimbaud en avait presque vingt-deux en 1876, une différence qui soulève des doutes sur l’identification.

Rimbaud est dans sa 22e année selon la formulation de la police autrichienne, il a 21 ans et demi. Le visage du modèle est intensément éclairé et le portrait présente un visage lisse qui renforce l’aspect juvénile, mais il est difficile d’y voir un adolescent.

Singularité du regard : La repique du négatif semble ne pas avoir préservé la singularité du regard de Rimbaud, qui est décrit comme très expressif et intense par ses proches.

La retouche du négatif est hélas une pratique fort courante à l’époque qui nous prive de beaucoup de regards. Comment savoir qu’Alexandre Dumas a les yeux clairs en regardant ses portraits carte de visite ? Ce n’est qu’en découvrant un portrait au daguerréotype que l’on a pu restituer son regard au grand écrivain. Voir ci-dessous.

La retouche sur le portrait de Vienne devient très visible en augmentant au maximum le contraste d’une numérisation de haute définition, mais on aperçoit toutefois un fragment d’iris clair en haut de l’œil droit. Voir ci-dessous.

Ressemblance des sourcils : L’article remet en question la ressemblance des sourcils du sujet du portrait avec ceux connus de Rimbaud dans d’autres images authentifiées.

Cet argument est appuyé dans le blog de Hugues par les portraits ci-dessous mis en relation. Or ils semblent prouver le contraire si l’on compare des aspects tels que la position, la forme, et la densité des sourcils, en particulier un sourcil semble bien plus court, ò droite pour nous dans un portrait comme dans l’autre. 

Manque de preuves documentaires : Il y a une demande de preuves tangibles comme des écrits ou des archives du photographe qui prouveraient la commande par Rimbaud d’une série de portraits à Vienne.

En effet c’est étonnant d’avoir déjà trouvé l’article du Fremden Blatt, ce genre de preuves ne surgissent que très rarement, et l’existence de celle-ci est très encourageante. On peut maintenant essayer de rechercher dans la tradition viennoise des auteurs qui ont relaté le séjour a Vienne comme Karl Eugen Schmidt (Die Zeit, 10 novembre 1900). 

Enfin, les portraits carte de visite sont produits et vendus avec une quantité minimum, selon les catalogues studios, généralement 20 ou 25 (catalogue Disderi en 1862), on peut donc conserver l’espoir de trouver un autre exemplaire. 

Chapeau Haut de Forme : son usage est très codé dans les années 1870 (comme aujourd’hui encore), mariages, fonctions politiques ou financières, si le haut-de-forme se prête bien à la caricature ou au dessin humoristique il ne correspond pas aux usages d’un tout jeune homme voyageant de Charleville à Istanbul en train quelques années avant l’Orient-Express. 

Un article du « Fremden-Blatt » confirme la mésaventure de Rimbaud à Vienne en toute fin février 1876.

Lors des Rencontres LES PHOTOGRAPHIES DE RIMBAUD organisées par Andrea Schellino, professeur de littérature française à l’université Rome III et moi-même, qui se sont tenues à l’Hôtel littéraire Rimbaud le 16 mars, Serge Plantureux a présenté une photographie prise à Vienne par le photographe Ignaz Hofbauer, selon le cachet qui figure au dos de la photo-carte. Il pense qu’elle pourrait représenter Arthur Rimbaud.

J’ai pour ma part émis des réserves, attendant de recevoir d’autres arguments que ceux d’une possible ressemblance, cette méthode m’ayant toujours semblé insuffisante et sujette à de faux débats. On se souvient du présumé portrait du poète repenti sur un perron de l’hôtel de l’Univers à Aden. D’autre part, certains des arguments avancés me paraissent douteux (notamment la chronologie).

Mais dans son enquête, avec l’aide du personnel des Archives nationales de Vienne, Serge Plantureux a fait une découverte qui me paraît réellement importante, celle d’un article paru le mardi 29 février 1876 dans le Fremden-Blatt, supplément du Morgen-Blatt, destiné à informer la communauté d’étrangers et de visiteurs de la capitale de l’Empire austro-hongrois.

Article paru le mardi 29 février 1876 dans le Fremden-Blatt.
Österreichisches Staatsarchiv. Courtesy ATELIER 41.

En effet, nous ne connaissions la mésaventure de Rimbaud à Vienne (âgé alors de 22 ans) qu’à travers les évocations faites par Verlaine et Delahaye, notamment un dessin de Verlaine (qui signe F. Cée) titré DARGNIÈRES NOUVELLES, représentant Rimbaud totalement dépouillé, dans la Vingince Strasse, un fiacre fuyant au galop à l’arrière plan, avec le texte suivant inscrit dans une bulle (et devant être entendu avec l’accent parisiano-ardennais selon la mention portée en marge).

C’est pas injuss’ de se voir dans une pareille situate ? Et pas la queue’ d’un pauv’ Keretzer sous la patte ! J’arrive à Vièn avec les méyeurs intentions (sans compter que j’compte sur des brevets dinvention). En arrévant j’me coll’ quêqu’Fanta comme de jusse. Bon ! V’la qu’un cocher d’fiac’ me vole tout : c’est pas injusse ? Voui, m’fait tout jusqu’à ma limace et mon grimpant. Et m’plant là dans la Strass par un froid pas foutans. Non ! Vrai, pour le début en v’laty un d’triomphe ! Ah la sal’bête ! Encore plus pir’ que la Daromphe !

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. 7203 (262). Manuscrit autographe signé « F.C. » (François Coppée).
Dizain et dessin original.

L’article du Fremden-Blatt apporte des détails quant au déroulement de l’événement lui-même et surtout le date indiscutablement. Les precisions d’un «  jeune homme élégamment habillé, qui semblait appartenir à la haute société » et celle de « professeur de langues » sont particulièrement intéressantes.

© 2024 “courtesy ATELIER 41

Voici, avec l’aimable autorisation de l’inventeur de cette découverte, Serge Plantureux, (© 2024 “courtesy ATELIER 41”), la translittération et la traduction du texte de l’article :

* (Abenteuer eines Franzosen.) Der Bewölbewächter Fuchs bemerkte Samstag nachts in der Maximilianstrasse einen jungen, elegant gekleideten Mann, der anscheinend den besseren Ständen angehörte, wie er mit einem mehrläusigen Revolver in der Hand daherwankte. Er hielt ihn deshalb an und übergab ihn einem Sicherheitswachmann, der ihn aufs Polizeikommissariat in der Stadt eskortierte. Der Fremde, der nur Französisch sprach, war im Besitze einer Schachtel mit Revolverpatronen. Er gab an, Arthur Rimbaud zu heißen, verweigerte aber jede weitere Auskunft betreffs seines Nationalen.

Die mittler-weile gepflogenen Erhebungen stellten fest, dass der Angehaltene ein Sprachlehrer, 22 Jahre alt, aus Charleville geboren ist und über Straßburg nach Wien gereist sei, um von hier in die Türkei zu gehen. Rimbaud bemerkte, dass es ihm nichts um die Ausführung eines Selbstmordes zu tun gewesen, er // sei dadurch in arge Verlegenheit geraten, dass ihm Samstag Nachts in einem öffentlichen Unterhaltungsorte seine Ersparnisse in der Höhe von 500 Francs gestohlen wurden. Den Revolver führte er nur zu seinem persönlichen Schutze bei sich.»

* Une mésaventure d’un Français. Samedi soir, dans la Maximilianstrasse, le gardien de la voûte Fuchs a remarqué un jeune homme élégamment habillé, qui semblait appartenir à la haute société, chancelant avec un revolver à barillet en main. Il l’a donc interpellé et remis à un agent de sécurité qui l’a escorté au commissariat de police de la ville. L’étranger, qui ne parlait que français, possédait une boîte de cartouches pour son revolver. Il s’est identifié comme étant Arthur Rimbaud mais a refusé de donner plus d’informations sur sa nationalité.

Les enquêtes ultérieures ont révélé que la personne arrêtée était un professeur de langues, dans sa vingt-deuxième année, né à Charleville et ayant voyagé via Strasbourg à Vienne, avec l’intention de se rendre en Turquie depuis cette ville. Rimbaud a précisé qu’il n’avait pas l’intention de se suicider, mais qu’il s’était trouvé dans une grande détresse après que ses économies de 500 francs lui eurent été dérobées samedi soir dans un lieu public de divertissement. Il portait le revolver uniquement pour sa protection personnelle.

Je reviendrai prochainement sur cet épisode du séjour viennois de Rimbaud au printemps 1876 au sujet duquel nous ne savons en somme que peu de choses.

Présentation à l’Institut du Monde Arabe d’un Coran ayant appartenu à Arthur Rimbaud

À l’occasion des Journées du Patrimoine (20 septembre 2020), l’Institut du Monde Arabe à Paris a présenté un Coran ayant appartenu à Arthur Rimbaud. Il ne s’agit pas de l’exemplaire que l’enfant Rimbaud aurait eu entre les mains à Charleville ou à Roche, provenant de son père Frédéric (une traduction en français avec en regard le texte arabe), mais d’un exemplaire imprimé par lithographie à Bombay en 1865, que Rimbaud a peut-être acquis à Aden ou que lui aurait offert Alfred Bardey qui y avait fait un voyage au début de l’été 1880.

L’ouvrage a été donné à l’IMA par les descendants d’Alfred et Pierre Bardey, négociants établis à Aden, qui employèrent Rimbaud d’août 1880 à novembre 1885 (voir ce précédent billet).

Voici ce que dit Mme Andriyanova de l’ouvrage :

Al-Qur’ân, Bombay, imprimerie Heydari ( المطبعة الحيدرية), safar 1282 / juillet 1865. Ouvrage lithographié 25 x 17 cm, 544 p. Reliure à rabat et à recouvrement, en cuir de chèvre teinte en rouge. Décor à chaud, à l’argent (deux cadres festonnés reliés par les angles, fleuron central). Par son aspect physique (type de décor, couleur de la reliure), proche des reliures produites à Zanzibar dans les années 1880. L’origine indienne de la reliure n’est pas à exclure. Pagination en chiffres indiens de type persan. Les trois premières pages ainsi que la dernière page portant le colophon sont richement décorées avec des motifs floraux. La zone du texte est délimitée par un cadre en double filet. Les titres des sourates sont indiqués dans les cartouches. Papier fin, jauni, sans filigranes. Le volume est composé de 68 cahiers de 4 feuilles (numérotés). Sur les marges, indications de lecture, réclames, marques d’orientation (numéro du juz’, nom de la sourate). Le texte s’ouvre par une prière et se termine par une prière spécifique réservée à la fin du Coran. Le colophon contient toutes les informations sur l’édition et l’impression, notamment le nom du copiste qui a préparé la pierre lithographique (Al-Hajj Muhammad) et ceux des correcteurs (Abd al-Rahîm Dihlawî, Sirâj al-Haqq Ramafûrî, etc.)

Aucune annotation postérieure à l’impression n’a été repérée à l’intérieur du livre.

Glissée dans le livre sacré, se trouvait une lettre écrite dans un arabe approximatif, signée (et marquée d’un tampon) de l’abban Fârih Kali ( ابان فارح كله ), lequel réclame à Rimbaud de l’argent.

La lettre a été envoyée à Aden ( بندر عدن) depuis Gueldessa (جلدسا), village proche de Harar, étape importante sur la route reliant le port de Zeila situé au sud du golfe de Tadjoura sur la côte africaine à la vieille cité marchande de Harar, porte d’entrée du pays Galla (oromo) et point de rupture de charge entre les caravaniers somalis et ceux du pays abyssin. Cette halte caravanière fut particulièrement importante pendant l’époque de l’occupation égyptienne (1875-1885) et florissante du temps où Arthur Rimbaud la fréquentait.

Elle est adressée à Rimbaud par Fârih Kali, un abban bien connu des Européens qui opéraient dans la région : Armand Savouré, Éloi Pino… Il sera plus tard le guide de J. Gaston Vanderheym (Une expédition avec le Négous Ménélik) et parlait probablement le français. Il est intéressant qu’il écrive à Rimbaud en arabe.

L’abban est non seulement guide de la caravane, mais il garantit pour tout voyageur qui ne peut se passer de ses services, quelle que soit sa nationalité, la sécurité de ce dernier et de ses biens ainsi que le règlement de tous les problèmes qui peuvent surgir en cours de route.

« L’arabe négligé de cette lettre, écrit la conservatrice Mme Olga Andriyanova, n’en facilite pas la compréhension. On saisit tout de même que Rimbaud avait des dettes envers plusieurs personnes et que Fârih Kali, servant ici d’intermédiaire, lui réclamait l’argent nécessaire pour régler cette situation. » « La date incomplète (7 (?) chawwal), mentionnée après la signature, ne nous permet pas malheureusement de la dater précisément. »

On trouve dans le document PDF téléchargeable ci-dessous les informations publiées à cette occasion par Mmes Olga Andriyanova et Nacéra Sahali.

La bibliothèque présentait également plusieurs ouvrages autour de Rimbaud devenu négociant en Afrique et en Arabie.

Toutes les photographies © Hugues FONTAINE 2020, avec l’aimable autorisation de l’Institut du Monde Arabe.

Hugues Fontaine, le 06 octobre 2020.

Images de Rimbaud et Verlaine

La « panthéonade »* en cours (faire entrer ensemble dans la crypte du Panthéon les dépouilles, ou une poignée de terre symbolique prise sur les tombes, de Rimbaud et Verlaine) fait se multiplier dans les journaux ou les billets en ligne les représentations des deux poètes ensemble.

L’une, qui fait florès, est un montage assez inepte : les deux hommes sont affublés de chapeaux ridicules ; Rimbaud tient Verlaine par l’épaule… Surtout l’image ne se présente pas comme un montage et les lecteurs, abusés, la prennent pour une véritable photographie. L’époque aime ces fausses représentations que facilite l’usage de Photoshop.

Je reçois ce 6 octobre la précision suivante : « la photo qui a servi au montage de la soi-disant photo de Verlaine et Rimbaud représente J.R. Perkins et son fils Sam, photographiés en 1901 à Lexington, Oklahoma (à l’époque Indian Territory) – photo présentée sur le site Flickr de leur descendant, C. Simpson« .

Michael Dias en parlait déjà en décembre 2017 dans un billet intitulé : « La photo de Verlaine et Rimbaud qui n’en est pas une ».

Merci à Christine Paganelli.

Un montage qui ne se donne pas comme tel, donc un faux, pour représenter Rimbaud et Verlaine côte à côte (voir Post-Scriptum).

Cette fabrication prend comme base deux portraits d’Arthur Rimbaud et Paul Verlaine faits par Étienne Carjat dans son atelier au numéro 10, rue Notre-Dame-de-Lorette. Verlaine donne la date d’octobre 1871 pour le fameux portrait de Rimbaud. Je suis enclin à penser que le portrait que Carjat fit aussi de Paul Verlaine a pu être tiré le même jour, mais ce n’est qu’une hypothèse.

Voici ce qu’écrit Jacques Bienvenu à ce sujet dans son blog : « A vrai dire, la seule certitude est que la date de la photographie [représentant Verlaine] est située entre juillet 1869, époque à laquelle Carjat s’installe rue Notre-Dame-de-Lorette, et juillet 1872 quand Verlaine part de Paris avec Rimbaud. Néanmoins, si on se base sur les portraits de Verlaine du Coin de table et de Carjat, on peut penser […] qu’ils sont contemporains. Les séances de pose ont commencé au tout début janvier de l’année 1872 et les photos de Rimbaud datent d’octobre 1871. Si Verlaine qui accompagnait son ami en a profité pour se faire tirer le portrait, on est à seulement trois mois des séances de pose du Coin de table. Cela est plausible, mais évidemment on ne peut l’affirmer. »

Portrait photographique de Paul Verlaine par Etienne Carjat, ca 1871.
Portrait photographique d’Arthur Rimbaud par Etienne Carjat, octobre 1871.

Je rappelle une autre incertitude de dates au sujet du deuxième portrait de Rimbaud (celui où il regarde droit dans l’objectif) qui porte la marque de l’atelier Carjat, et dont je pense qu’il est contemporain du plus célèbre des deux, réalisé, cela est établi, par Carjat (voir mon livre Arthur Rimbaud photographe).

2 portraits photographiques d’Arthur Rimbaud vraisemblablement faits tous les deux par Etienne Carjat, octobre 1871.

Une représentation des deux poètes ensemble est bien connue. C’est celle du Coin de table, le tableau d’Henri Fantin-Latour exposé au Salon de 1872.

Coin de table, huile peinte par Henri Fantin-Latour, 1872.

Il est curieux de voir comment le peintre a figuré les deux hommes l’un à côté de l’autre et a peint leurs regards qui dans la pose s’évitent, ce qui est le cas aussi pour tous les protagonistes de ce dîner.

Extrait du Coin de table, huile peinte par Henri Fantin-Latour, 1872.

Stéphane Mallarmé dans Médaillons et portraits, publié en 1896, donne dans son style inimitable un portrait du jeune Rimbaud au moment où il fréquente les Vilains Bonshommes en compagnie de Verlaine, donc à l’époque du tableau et des portraits photographiques par Carjat :
« Je ne l’ai pas connu, mais je l’ai vu, une fois, dans un des repas littéraires, en hâte, groupés à l’issue de la Guerre — le Dîner des Vilains Bonshommes, certes, par antiphrase, en raison du portrait, qu’au convive dédie Verlaine. « L’homme était grand, bien bâti, presque athlétique, un visage parfaitement ovale d’ange en exil, avec des cheveux châtain clair mal en ordre et des yeux d’un bleu pâle inquiétant » (in Paul Verlaine, Poètes maudits, 1884). Avec je ne sais quoi fièrement poussé, ou mauvaisement, de fille du peuple, j’ajoute, de son état blanchisseuse, à cause de vastes mains, par la transition du chaud au froid rougies d’engelures. Lesquelles eussent indiqué des métiers plus terribles, appartenant à un garçon. J’appris qu’elles avaient autographié de beaux vers, non publiés : la bouche, au pli boudeur et narquois n’en récita aucun ».

Lettre de Felix Regamey à son frère, automne 1872.

Vient d’apparaître providentiellement sur le marché une lettre de Felix Regamey (qui sera mis aux enchères chez Christies le 3 novembre 2020) illustrée d’un dessin représentant Rimbaud et Verlaine marchant dans une rue de Londres (on voit à l’arrière plan un bobby, un policier britannique).

« Maintenant, devine qui j’ai sur le dos depuis trois jours. Verlaine et Rimbaud – arrivant de Bruxelles – Verlaine beau à sa manière. Rimbaud, hideux. L’un et l’autre sans linge d’ailleurs. Ils se sont décidés pour le Gin sans hésitation« , écrit Régamey dans cette lettre à son frère datée du 13 septembre 1872.

Félix Regamey vit alors à Londres où il s’est réfugié après la Commune à laquelle il a participé. Il accueille les deux vagabonds et leur apporte de l’aide.

Ce dessin est bien d’une main d’artiste. Regamey est peintre et caricaturiste, il publie des dessins dans Le Journal amusantLe BoulevardL’Indépendance parisienneLa Vie parisienneLes Faits-Divers illustrés... Il dessine avec un goût manifeste à croquer ce qu’il voit (il fera de très nombreux dessins lors des ses voyages au Japon et en Chine). Il fait aussi des aquarelles.

On connait de lui un portrait de son ami Verlaine daté de 1872, paru en frontispice de son livre, Verlaine dessinateur, publié en 1896 quelques mois après la mort du poète ; il est illustrée de 23 dessins, portraits et autographes.

Paul Verlaine 1872 par Felix Regamey.

Un autre dessin de Regamey, rehaussé à la gouache, est reproduit en page de titre.

Petit portrait de Verlaine, le représentant de profil reproduit, réduit, en page de titre du livre de Régamey « Verlaine Dessinateur ». Dessin à l’encre rehaussé de gouache blanche
Signé de son paraphe et daté 1869, 6 x 8.5cm.

Voici pour finir quelques détails de cette lettre mise bientôt en vente que je dois à l’aimable obligeance de Julien Paganetti, qui dirige la librairie Autographes des Siècles.

Lettre de Felix Regamey à son frère, automne 1872 (détail). © Christies.
Lettre de Felix Regamey à son frère, automne 1872 (détail). © Christies.
Lettre de Felix Regamey à son frère, automne 1872 (détail). © Christies.

Enfin, autre registre, pour conclure, mais c’est une autre histoire : au cinéma, c’est le jeune Leonardo DiCaprio et David Thewlis qui incarnent les deux poètes dans Total Eclipse (Rimbaud Verlaine dans la version française) de Agnieszka Holland, 1995.

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Note* Les Mémoires d’un veuf de Verlaine comprennent une notule intitulée « Panthéonades » dans laquelle il déplore le sort réservé à Victor Hugo : « Ils l’ont fourré dans cette cave où il n’y a pas de vin ! ». Cité par Denis Saint-Amand, « Rimbaud et Verlaine, trop sauvages pour le Panthéon », Libération, 14/09/2020 (précision donnée par Alain Bardel).

POST-SCRIPTUM (24 septembre) : Je découvre sur Twitter ce matin la série de billets publiés par @LaurentNunez sur ce montage photo et la photographie originale signalée par @K_Boucaud qui représente « les personnages réels du Dr Emmett Brown et Marty McFly, incarnés plus tard dans la série de films Retour vers le futur ».

POST-SCRIPTUM 2 (6 octobre) : « La mention par un utilisateur tweeter du « Dr Emmett Brown et Marty McFly » est en fait une plaisanterie, assez drôle, il s’agit des héros purement fictionnels et devenus « culte » comme on dit, de la série de film Retour vers le Futur (un « prof » excentrique propulse  son jeune ami  – ami en tout bien tour honneur ! – dans les années 1950 puis dans l’Ouest américain des années 1880) ». Extrait du message de Christine Paganelli, en commentaire.

J.R. And Sam Perkins; Lexington, Indian Territory, 1901

Un Coran qui aurait appartenu à Arthur Rimbaud

« Coran ayant appartenu à Arthur Rimbaud durant son séjour en Abyssinie ». Photographie et © Hugues FONTAINE avec l’aimable autorisation de l’Institut du Monde Arabe.

À l’occasion des Journées du patrimoine, la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe à Paris a présenté au public le 20 septembre un Coran qui aurait « appartenu à Arthur Rimbaud durant son séjour en Abyssinie », selon une petite carte collée sur la garde de papier au plat trois de la couverture (reliure en peau rouge). D’après le collophon, ce Coran a été imprimé par lithographie en Inde en 1865.

Vitrine où sont présentés le Coran et la lettre qui était glissée à l’intérieur. Photographie et © Hugues FONTAINE

Les registres de la bibliothèque ne conservent aucun détail sur ce qui m’a été présenté comme un don de la famille Bardey (descendant d’Alfred Bardey, l’employeur de Rimbaud à Aden), ce dont témoigne une carte de visite contenue dans le volume. La donation a été faite à l’IMA à l’occasion de l’exposition qu’avait organisée l’institut en 1991, Rimbaud à Aden, dans le cadre du centenaire de la mort de Rimbaud.

Carte de visite conservée dans l’ouvrage. Photographie et © Hugues FONTAINE.

On sait que parmi les papiers provenant du père du poète, Frédéric, conservés dans le grenier de Roche, se trouvaient une grammaire arabe revue et corrigée, une traduction du Coran avec le texte arabe en regard, et encore quelques autres « papiers arabes ».

À Harar, Arthur demanda à sa mère qu’elle cherche pour lui ces documents « utile[s] à ceux qui apprennent la langue » et qu’on les lui envoie, mais « comme emballage seulement, car ça n’en vaut pas le port ».

« À propos comment n’avez-vous pas retrouvé le dictionnaire arabe ? Il doit être à la maison cependant. Dites à F[rédéric, le frère] de chercher dans les papiers arabes un cahier intitulé : Plaisanteries, jeux de mots, etc., en arabe, et il doit y avoir aussi une collection de dialogues, de chansons, ou je ne sais quoi, utile à ceux qui apprennent la langue. S’il y a un ouvrage en arabe, envoyez ; mais tout ceci comme emballage seulement, car ça ne vaut pas le port. » (Lettre aux siens, Harar, 15 février 1881.)

On sait aussi que Rimbaud connaissait l’arabe et même, par le témoignage du négociant italien Ugo Ferrandi, agent de la firme Bienenfeld à Aden, qui a bien connu Rimbaud, qu’il « tenait dans sa case [à Tadjourah] de véritables conférences sur le Coran aux notables indigènes ». (Franco Petralia, Bibliographie de Rimbaud en Italie, Sansoni Antiquariato, 1960, p. 73). Bardey rapporte qu’à Aden, en 1884, il occupait ses loisirs à déchiffrer des livres arabes et à se perfectionner dans la langue. Jules Borelli écrit qu’il « sait l’arabe et parle l’amharigna et l’oromo. Il est infatigable. Son aptitude pour les langues, une grande force de volonté et une patience à toute épreuve, le classent parmi les voyageurs accomplis. » (Borelli, Éthiopie méridionale, Journal de mon voyage aux pays Amhara, Oromo et Sidama, septembre 1885 à novembre 1888, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1890, 1890, p. 201).

Autre intérêt du document, il contient une lettre manuscrite rédigée en arabe (mais avec des fautes) sur un feuillet de papier quadrillé, écrite par l’abban [guide de caravane et garant de la sécurité des voyageurs] Fârih Kali, adressée à Rimbaud (son nom est donné au début de la lettre), dans laquelle l’expéditeur s’impatiente de ne pas avoir reçu une somme d’argent que Rimbaud lui devait. La lettre n’est malheureusement pas datée.

Les bibliothécaires de l’Institut du Monde Arabe, Mmes Olga Andriyanova et Nacéra Sahali, ont rassemblé les informations dont elles disposent pour la présentation de cette pièce sortie de la réserve patrimoniale de la bibliothèque.

Je publierai ici quelques autres photographies de ce Coran et de la lettre, ainsi que des informations supplémentaires, après que Mmes Olga Andriyanova et Nacéra Sahali aient mis en ligne elles-mêmes le résultat de leurs recherches.

Hugues Fontaine, 20 septembre 2020.

Avec l’Institut du monde arabe (IMA), 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris.

Étienne Carjat

Le 9 mars 1906 mourait Étienne Carjat, qui avait photographié le jeune poète Arthur Rimbaud, « monté à Paris » en 1871.

Il était également l’auteur d’un portrait de Paul Soleillet que nous avons longuement cherché, Jean-Jacques Salgon, Philippe Oberlé et moi-même afin de le présenter dans notre exposition RIMBAUD – SOLEILLET. UNE SAISON EN AFRIQUE.

Nous l’avons pour finir trouvé… au musée du Vieux Nîmes.

En librairie

Dans quelques librairies de France et de Navarre. En Belgique aussi.

L’Ecume des pages.
Rue de Bagnolet.
Gibert Jeune, BnF.
Chez Albin Michel, Bd Saint-Germain.
Librairie Delamain, en face la Comédie française.
Chez Gibert, Bd Saint-Michel.
Librairie de Dinan.
Librairie Filigranes à Bruxelles.
A l’Atelier, Paris 20e.

Au marché de Noël à Addis Abeba

Au marché de Noël de l’Alliance éthio-française d’Addis Abeba. © Christian Merer.

C’est un ancien cheminot du chemin de fer djibouto-éthiopien, autrefois franco-éthiopien, qui tient le stand où est présenté « Arthur Rimbaud photographe ».

Merci à Christian Merer, son directeur et à toute l’équipe de l’Alliance. De belles fêtes à vous !

10 novembre 1891

Arthur Rimbaud. Dessin d’Isabelle, vers 1891.

10 novembre 1891. Rimbaud meurt à 10 heures selon les registres de l’hôpital de la Conception à Marseille.

La veille, il a dicté à sa sœur Isabelle la lettre à un directeur de compagnie maritime :

Un lot……..1 dent seule

Un lot……………2 dents

Un lot……………3 dents

Un lot……………4 dents

Un lot……………2 dents

M. le directeur,

Je viens vous demander si je n’ai rien laissé à votre compte. Je désir changer aujourd’hui de ce service ci dont je ne connais même pas le nom, mais en tous cas que ce soit le service d’Aphinar. Tous ces services sont là partout et moi impotent, malheureux je ne peux rien trouver, le premier chien dans la rue vous dire cela envoyez moi donc le prix des services d’Aphinar à Suez. Je suis complètement paralysé donc je désire me trouver de bonne heure a bord dites-moi à quelle heure, je dois être transporté à bord.