J’fous le camp à Wien

Ayant probablement appris de Delahaye que Rimbaud était parti à Vienne, Verlaine, dans une lettre qu’il lui adresse en mars 1876, en fait un croquis intitulé : « Les voyages forment la junesse ».

Rimbaud, coiffé d’un haut de forme, se dirige vers une gare de chemin de fer en s’écriant : M… àla Daromphe ! J’foul’ camp à « Wien ! »

L’allure peut correspondre à la description que donne le Fremden-Blatt d’un «  jeune homme élégamment habillé, qui semblait appartenir à la haute société ».

Le dessin fut publié par Berrichon dans La Revue blanche du 15 avril 1897, lequel donne quelques détails sur la mésaventure que connaît Rimbaud.

En 1876, deuxième tentative vers l’Orient.

Ayant réussi de nouveau à gagner la bourse maternelle à la cause d’un départ, sous prétexte d’aller approfondir l’allemand à Vienne, aux fins d’une collaboration industrielle en Russie, il part pour, en effet, l’Autriche ; mais avec l’intention de gagner Varna, sur la mer Noire, où il s’embarquerait pour l’Asie.

Le guignon, hélas, le poursuit. Pas plutôt à Vienne, il est délesté de tout ce qui lui reste de sous par des individus avec lesquels sa générosité imprudente l’a fait boire. Et le voici forcé, pour manger, de se livrer, dans la ville autrichienne, à des besognes de forçat, à des mendicités. Un jour, pour de nobles raisons humaines, il a une rixe avec la police. Il est arrêté. On l’expulse.

Conduit à la frontière de l’Allemagne et livré à la police de cet empire, qui l’expulse à son tour, on le mène à la frontiere française, d’ou, à pied, par Strasbourg et Montmédy, il regagne Charleville. »

On notera l’expression  » aux fins d’une collaboration industrielle en Russie « . Dans le dessin du Rimbaud détroussé, Verlaine fait dire à Rimbaud « sans compter que j’compte sur des brevets dinvention ». Quant à l’article du Fremden-Blatt, il parle d’une destination finale qui serait la Turquie.

Berrichon poursuit avec une description physique de Rimbaud donnée par son ami Delahaye (indiquée entre guillemets). Il précise ensuite (dans son style ampoulé) que Rimbaud a cessé d’écrire, sinon quelques lettres, et ne pense qu’à une seule chose, se rendre en Orient.

« Il était alors, dit Ernest Delahaye, très robuste ; allure souple, forte, d’un marcheur résolu et patient, qui va toujours. Les grandes jambes faisaient, avec calme, des enjambées formidables, les longs bras ballants rythmaient les mouvements très réguliers, le buste était droit, la tête droite, les yeux regardaient dans le vague, toute la figure avait une expression de défi résigné, un air de s’attendre à tout, sans colère, sans crainte. » Il n’écrivait plus que de rares épistoles; l’ambition littéraire semblait morte ; il ne marquait plus, apparemment, que le désir d’aller, de voir, les yeux avec obstination et spécialement fixés vers l’Asie. Coùte que coûte, il fallait qu’il y atteignit, en cet Orient convoité !

Comme il n’espérait plus rien de sa mère, les idées les plus étranges, touchant les moyens d’arriver au but, hantaient son esprit. Il eut une fois celle de se faire missionnaire. »

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