Un compte rendu de Frédéric Thomas dans « Dissidences »

Hugues Fontaine, « Arthur Rimbaud photographe », Paris, Textuel, 2019, 215 pages, 35 €.

Dans ce livre, Hugues Fontaine offre à la fois une réflexion sur la photographie en rapport avec le parcours d’Arthur Rimbaud, une analyse historique de son exploitation du médium, alors qu’il était en Afrique, et, enfin, le récit de sa découverte de plusieurs photographies attribuées à l’auteur des Illuminations. La qualité des illustrations – photographies, cartes et dessins –, ainsi que l’écriture font d’Arthur Rimbaud photographe un livre précieux, agréable à lire, éclairant le séjour du poète au Harar, mieux que ne l’avait fait le finalement décevant Rimbaud l’Africain de Claude Jeancolas (Textuel, 2014)1.

Après s’être brièvement arrêté sur les photos de Rimbaud par Carjat, l’auteur s’intéresse au Rimbaud photographe. Début 1883, alors qu’il est négociant au Harar, dans l’actuelle Éthiopie, l’auteur d’Une Saison en enfer se fait livrer un appareil photographique. Dans une de ses lettres « aux siens », il envoie des autoportraits, qui ne permettent guère de voir son visage. Hugues Fontaine y consacre de nombreuses et belles pages. Il note que « Rimbaud à Harar est un des premiers écrivains à s’être photographié, à avoir fait un autoportrait. Il est certes et désormais « sorti de la littérature », selon l’expression de Delahaye. Qu’importe, celui qui se photographie à Harar a beau avoir renié son passé de littérateur, être devenu autre, il fait ce geste de se photographier. « Pour rappeler sa figure ». Se photographier, et se regarder autre. N’est-ce pas par excellence un geste d’écrivain ? » (p. 33).

Ces photos sont d’autant plus troublantes que, alors qu’elles certifient la présence de Rimbaud en ce lieu, celui-ci évoque à cette occasion sa possible disparition. « Dans cette étonnante lettre du 6 mai 1883 par laquelle il expédie ces trois épreuves photographiques, lettre qui se termine, chose inhabituelle, sur un « Au revoir », Rimbaud envisage sa possible disparition : « Mais qui sait combien peuvent durer mes jours dans ces montagnes-ci ? Et je puis disparaître au milieu de ces peuplades sans que la nouvelle en ressorte jamais » (p. 23). Hugues Fontaine conclut en remarquant avec raison : « notre fascination devant ces images qui montrent peu de choses en fait de ressemblance tient donc non pas à ce que nous voyons, mais à ce que nous savons » (p. 193).

« Rimbaud applique à lui-même son programme photographique : montrer « des paysages et des types », ce qui est bien dans la manière du temps », écrit l’auteur (p. 15). Mais cela ne va pas sans détournement ni ironie, comme en atteste la lettre à sa mère et à sa sœur, où, à propos de l’Exposition universelle de Paris de 1889, Rimbaud écrit : « je pourrai exposer peut-être les produits de ce pays, et peut-être m’exposer moi-même, car je crois qu’on doit avoir l’air excessivement baroque après un long séjour dans des pays comme ceux-ci » (Rimbaud, cité, p. 45). Reste que ce programme s’inscrit également dans le projet d’explorer l’inconnu de ces régions, et d’écrire « un ouvrage pour la Société de géographie avec des cartes et des gravures, sur le Harar et les pays Gallas (…). Bientôt photographe, il se veut aussi et simultanément géographe, ethnographe… » (p. 52-53). Mais cela ne se concrétisa que très ponctuellement, en août 1887. Arrivé au Caire après la mésaventure de la vente d’armes à Ménélik, pris d’une « véritable frénésie d’écriture », il écrit sa « Lettre au directeur du Bosphore égyptien » ; récit d’une exploration en ces terres alors peu connues en Occident. On aurait d’ailleurs aimé qu’Hugues Fontaine étudie l’usage social de ces photos, depuis celles qui montrent le jeune poète tout juste débarqué à Paris, en 1871, – il cite à ce propos la « postérisation » (André Gunthert) de la figure de Rimbaud (p. 30) –, jusqu’à la pratique photographique quinze ans plus tard dans l’Afrique coloniale. « La photographie, écrit-il, est utilisée comme outil promotionnel, pour servir à valoriser l’entreprise d’exploitation commerciale » (p. 150).

Les photos de Rimbaud postérieures à ses autoportraits témoignent d’une plus grande maîtrise, démontrant, selon Hugues Fontaine, « les compétences techniques de Rimbaud, opérateur photographique. (…) On voit bien à chaque fois une intention d’équilibrer les volumes du paysage ou de l’espace avec le personnage photographié » (p. 84-85). Au passage, l’auteur corrige certaines assertions de Jean-Jacques Lefrère (p. 110) dans sa biographie de référence (Arthur Rimbaud, Fayard, 2001). On émettra quelques réserves cependant sur l’utilisation des citations de poèmes de Rimbaud pour illustrer trop directement le parcours du poète. Verlaine était plus proche de la vérité, plus attentif à la multiplicité des voix de sa poésie, lorsqu’il évoqua, à propos d’Une Saison en enfer, « cette espèce de prodigieuse autobiographie psychologique ».

L’explorateur autrichien Philipp Paulitschke constitua une collection de photographies d’autres explorateurs parmi ses contemporains, en cette fin du XIXe siècle : « la plus grande collection existante de photographies originales sur l’Afrique orientale » (p. 171). Or, dans le registre où sont annotées les provenances de ces clichés, Hugues Fontaine a découvert que le nom d’Arthur Rimbaud apparaît à trois reprises. Cette découverte soulève nombre de questions. S’agit-il de photographies de Rimbaud – mais, à l’époque où Paulitschke voyage dans la région, Rimbaud a déjà revendu son appareil photographique – ou de clichés en sa possession ? L’auteur émet plusieurs hypothèses. Peut-être les deux hommes se sont-ils rencontrés à Aden, en avril 1885, et ont-ils gardé contact (p. 182) ? Ou alors, au moment de quitter Harar, malade et le genou enflé, en avril 1891, longue procession qui l’emmènera jusqu’à Marseille où il mourra, Rimbaud aurait pu laisser à la mission des pères sur place quelques affaires dont des photographies, qui auraient ensuite été communiquées à Paulitschke – le lien entre l’un des Pères de cette mission et ce dernier est avéré (p. 184).

Toujours est-il que, selon Hugues Fontaine, « d’autres clichés existent très vraisemblablement, qu’il reste à retrouver et identifier » (p. 186). Rimbaud n’annonçait-il pas dans sa lettre à sa mère et à sa sœur du 20 mai 1883, après avoir affirmé que « la photographie marche bien », qu’il enverrait « bientôt des choses réussies » (lettre citée, p. 189) ? (Et, dans une lettre antérieure, il disait de même : « je vous enverrai des choses curieuses » (Rimbaud, cité p. 46)). Nous ne sommes donc pas au bout de nos surprises avec l’homme aux semelles de vent2.

Frédéric Thomas (site)

1Lire le compte-rendu sur notre blog, https://dissidences.hypotheses.org/5185

2Pour rappel, en 2018, nous avons découvert une lettre inédite de 1874 du poète au communard Jules Andrieu. Voir sur notre blog : UNE LETTRE INCONNUE D’ARTHUR RIMBAUD, ainsi que sur le site de Parade sauvage : https://sites.dartmouth.edu/paradesauvage/decouverte-dune-lettre-de-rimbaud-frederic-thomas/.

Étienne Carjat

Le 9 mars 1906 mourait Étienne Carjat, qui avait photographié le jeune poète Arthur Rimbaud, « monté à Paris » en 1871.

Il était également l’auteur d’un portrait de Paul Soleillet que nous avons longuement cherché, Jean-Jacques Salgon, Philippe Oberlé et moi-même afin de le présenter dans notre exposition RIMBAUD – SOLEILLET. UNE SAISON EN AFRIQUE.

Nous l’avons pour finir trouvé… au musée du Vieux Nîmes.

Nîmes – Maison carrée – Carré d’art

Maison Carrée de Nîmes, temple romain datant du premier siècle av. J.-C.

En 1993 est construit le Carré d’art à l’emplacement d’un ancien grand théâtre néo-classique construit de 1798 à 1800, totalement incendié en octobre 1952 et dont ne subsistait que la façade. Architecte : Norman Foster.

Le bâtiment abrite le musée d’art contemporain et la bibliothèque.

Rimbaud et Monfreid en Éthiopie

Vient de paraître.

J’ai le plaisir d’annoncer la parution du livre de Philippe Oberlé, Arthur Rimbaud et Henry de Monfreid en Éthiopie, remarquablement documenté et richement illustré.

Philippe Oberlé est le conseiller historique de la prochaine exposition « Rimbaud – Soleillet. Une Saison en Afrique » qui s’ouvrira à Nîmes le 21 janvier prochain.

Le livre est en vente par correspondance (28 € frais de port offerts) chez Philippe Oberlé, 213 Rue des Bergeronnettes, 30900 Nimes.

Ou en écrivant à philoberle(at)netcourrier.com.

On le trouve également à la librairie l’Harmattan à Paris.

Pour en feuilleter quelques pages.

En librairie

Dans quelques librairies de France et de Navarre. En Belgique aussi.

L’Ecume des pages.
Rue de Bagnolet.
Gibert Jeune, BnF.
Chez Albin Michel, Bd Saint-Germain.
Librairie Delamain, en face la Comédie française.
Chez Gibert, Bd Saint-Michel.
Librairie de Dinan.
Librairie Filigranes à Bruxelles.
A l’Atelier, Paris 20e.

Les enthousiasmants Chevaux de Rimbaud

D’Éthiopie, j’avais commandé le livre d’Alexandre Blaineau, Les Chevaux de Rimbaud, qui vient de paraître chez Actes Sud dans la collection Arts équestre dirigée par Jean-Louis Gouraud. En France, je serais allé le chercher dans une librairie ; là, je voulais l’avoir à mon retour, qui m’attendrait. Pierre Brunel m’en avait dit beaucoup de bien, juste avant que je ne parte. Et c’est la course des derniers jours avant le voyage qui m’avait empêché de trouver le temps de l’acheter, car mieux encore, je l’aurais emporté avec moi, à Diré-Daoua au moins, faute d’aller cette fois jusqu’à Harar. 

Je me suis donc fait envoyer, à partir d’un site qui annonce céder 10% du prix de la vente d’ouvrages d’occasion à des associations caritatives, un exemplaire réputé comme neuf. De fait, il est impeccable, n’a manifestement jamais été ouvert et contient même, cher Alexandre Blaineau, le communiqué de presse de votre éditeur, un feuillet lui aussi dans un état parfait, donc probablement jamais déplié et que j’étais sans doute le premier à lire. Mais passons sur ces détails qui n’honorent pas certains « critiques littéraires ». 

J’aurais aimé l’emporter, mais il est encore mieux en fait de l’ouvrir ici, en France. Donc comme la majorité des lecteurs – bien que je sois sûr que vous ayez aussi en Éthiopie de vrais lecteurs, qui n’ont pas reçus complaisamment un exemplaire de presse.

Mieux, parce que l’ouvrage, très érudit, pose d’emblée une nécessaire distance avec son matériau, de documentation et d’écriture et emmène le lecteur dans un voyage où l’on circule comme en trois dimensions pour observer l’objet proposé à l’examen. Il lance une gageure : déployer sur 184 pages, en 37 chapitres ! l’évocation d’un Rimbaud cavalier. Donc, semble-t-il, dans la dernière partie de sa vie, celle qu’il a passée en Orient, puisqu’Alexandre Blaineau fait commencer à Chypre en mai 1880 sa possible première cavalcade.

Comme pour toute la partie adénie ou africaine de la vie de Rimbaud (Tadjourah, Zeilah, Harar, le Choa, Massawa, Le Caire…) nous ne disposons en réalité que de très peu de faits, très peu d’informations avérées. Tout juste quelques témoignages recueillis le plus souvent après la mort d’Arthur. Nous avons surtout ses lettres, aux siens principalement, et à quelques correspondants, dont un particulièrement important pour Rimbaud, l’ingénieur Alfred Ilg. Il faut donc tirer la substantifique moelle de ces quelques lignes, des quelques mots qui traitent de l’activité du poète devenu négociant explorateur. Et à partir d’un examen très rigoureux de ces vocables, s’autoriser la liberté, non de gloser, mais d’écrire Rimbaud à cheval, de considérer Rimbaud du « point de vue équestre ». D’évoquer le cavalier qui « s’emploie à poursuivre ses anabases à la recherche de l’autre, à la recherche de soi. » Ce beau mot d’anabases, qui est le titre d’un ouvrage de Xénophon, mais aussi de Saint-John Perse, peut être entendu ici, concernant Rimbaud, dans son sens d’expédition de la mer vers l’intérieur montagneux du pays (la montée des armes au Choa), mais aussi, plus poétiquement, dans celui d’une chevauchée vers un ailleurs toujours repoussé.

Et puis nous avons surtout ses textes. Alexandre Blaineau revisite principalement les Illuminations, les Coloured plates, comme l’explique Verlaine en signalant la sonorité anglaise et le sens du titre de ce projet. C’est avec Ornières qu’il donne à entendre sa manière d’explorer à rebours (c’est-à-dire à partir de sa connaissance de ce qu’on appelle généralement « la deuxième vie » de Rimbaud) le texte du poème, en prêtant une attention minutieuse à la graphie du manuscrit, repérant dans un texte écrit d’une traite, sans rature, un très léger accrochage sur une lettre, une consonne, le « l », qui a fait Rimbaud écrire des juments bleues et non brunes.

L’érudition d’Alexandre Blaineau concerne la chose équestre (il a publié notamment, chez le même éditeur, Xénophon, l’intégrale de l’œuvre équestre) et il est capable de nous dire que fut peint dans une grotte du Périgord, il y a 19.000 ans, un cheval bleu, d’en repérer d’autres en Toscane, dans des tombes étrusques ou de traiter des rapports du noir et du bleu chez Gauguin ou Soulages, mais son érudition porte aussi sur l’œuvre du poète. Tout cela dans un style excellent, agréable à lire, et en offrant un discret appareil de notes plus intéressantes les unes que les autres.

Je n’ai pas encore achevé de lire tout le texte, mais puisque certains, dont c’est le travail, sinon le métier, d’écrire sur les écrits des autres, préfèrent revendre les ouvrages que des attachés de presse leur ont scrupuleusement envoyés, en mesurant soigneusement la chance qu’ils y consacrent quelques lignes, j’ai voulu publier ici sans attendre ces quelques observations et dire mon enthousiasme devant ce projet étonnant des Chevaux de Rimbaud.